Depuis sa création ou presque, le jeu vidéo, comme toutes les pratiques ludiques, est une activité éminemment sociale.
On y joue à plusieurs, sur le même écran ou en ligne, en guilde ou en équipe. On échange autour des jeux dans les cours de récréation, à la pause déjeuner ou sur les réseaux sociaux… Et, depuis toujours, on a aussi consacré du temps à regarder les autres jouer. Qui n’a pas regardé ses amis ou frères et sœurs jouer sur la console familiale en attendant de se saisir de la manette pour jouer soi-même, devant ce même auditoire ?
Qu’est-ce que le streaming ?
Ces pratiques sociales liées au jeu vidéo évoluent, au gré des usages mais aussi du développement et de l’accessibilité technologique. Depuis quelques années, est apparue une nouvelle pratique appelée le streaming. Elle consiste non plus à être acteur du jeu mais spectateur. Le jeu vidéo est désormais diffusé en ligne sur des plateformes dédiées comme Twitch, Hitbox, Youtube Gaming, DailyMotion Games ou encore Facebook Live, entre autres. Les joueurs captent leurs parties de jeu et les retransmettent en direct sur les réseaux sociaux afin de partager leurs exploits ou leurs échecs, de faire découvrir des jeux ou d’échanger avec d’autres joueurs ou encore de commenter (sans jouer) les prouesses de certains joueurs réputés. C’est par exemple le cas lors de compétitions de sports électroniques comme le font des commentateurs sportifs qui animent les diffusions télévisées des grandes compétitions de sports traditionnels.
Pourquoi regarder un jeu en streaming ?
Le streaming se regarde autant pour l’intérêt du jeu (la découverte d’un jeu ou les talents du joueur) que pour les qualités d’animation du streamer. Ce dernier attire son auditoire par :
- sa capacité à faire vivre son émission et à tenir parfois des heures d’antennes dans le cadre de « marathons »,
- par sa verve, la pertinence de ses propos et la connaissance de son sujet, par exemple quand il s’agit de décrypter des mécaniques de gameplay d’un jeu et de les expliquer.
Ces diffusions en direct sont regardées par un public de plus en plus grandissant de (jeunes) joueurs. L’industrie du jeu évalue déjà l’audience du streaming à plusieurs centaines de millions de spectateurs réguliers dans le monde, si bien que la profession estime que, comme pour le sport traditionnel, il pourrait bientôt y avoir davantage de spectateurs que de joueurs, au même titre que les grands matchs de foot réunissent davantage de téléspectateurs qu’il n’y a de licenciés. Le streaming et son audience deviennent donc un enjeu économique majeur que tous les principaux acteurs de l’industrie du jeu – à commencer par les mastodontes Activision Blizzard, Electronic Arts ou Tencent – entendent capter.
Dès lors, tant pour les streamers que pour les spectateurs, ces usages ne sont pas totalement anodins et le streaming impose une certaine vigilance.
Le streaming : attention au temps
Si pour une immense majorité de streamers, le streaming est aujourd’hui encore une activité très occasionnelle, l’accessibilité des outils de diffusion en ligne et l’engouement que suscite la pratique encouragent certains joueurs à diffuser sur de très longues plages horaires. Certains streamers s’organisent pour diffuser en permanence ou presque et parfois sur plusieurs chaînes simultanément. De l’autre côté, les spectateurs peuvent aussi rester connectés durant des heures, le temps de visionnage peut être largement supérieur au temps de jeu.
La diffusion en ligne et en direct permettent par ailleurs des échanges directs entre le streamer et « sa communauté » qui réagit généralement via un chat pour interpeler le streamer, formuler des demandes, etc. À l’inverse de la télévision, un média passif, cette interaction directe entre le streamer et son public contribue à développer un lien émotionnel parfois fort. Le streamer fixe les rendez-vous à sa communauté, l’encourage à s’abonner… pour fidéliser les spectateurs, augmenter la durée de diffusion et de visionnage, souvent en soirée voire tard dans la nuit.
À chacun son programme
Tout comme la télévision diffuse des programmes destinés à des publics différents, tous les streams ne se valent pas. Certains sont légers et bon enfant, d’autres se prennent très au sérieux, ou encore s’adressent à un public averti, tant au regard des thèmes abordés (des jeux déconseillés aux joueurs de moins de 18 ans, par exemple) que de la personnalité du streamer. À titre d’exemple, le réseau Twitch, initialement spécialisé dans la diffusion de contenus ludiques avant d’élargir sa ligne éditoriale à des sujets de société plus divers, a dû renforcer ses conditions d’utilisation pour interdire les diffusions de streamers et streameuses se mettant en scène en train de jouer en tenues jugées trop légères ou évoquant des sujets réservés aux adultes.
Car si les médias traditionnels sont soumis à une régulation stricte par des chartes déontologiques dont la bonne application est contrôlée par le CSA en France, les réseaux sociaux de diffusion vidéo échappent pour l’instant à ces contrôles et ne sont régulés que par les acteurs privés qui les gèrent selon des principes légaux et moraux qui leurs sont propres. La donne pourrait néanmoins évoluer suite à la transposition de la directive dite SMA (la directive « Services de médias audiovisuels »), qui a notamment vocation à étendre le champ de compétences du CSA aux plateformes de partage de vidéos et aux réseaux sociaux. Pour autant, aujourd’hui, la plupart de ces plateformes étant nord-américaines, un principe de liberté d’expression totale ou presque y est appliqué (seuls les contenus explicitement sexuels sont généralement censurés). Sur certaines chaînes, il n’est donc pas rare d’entendre des propos grossiers, voire ouvertement racistes ou homophobes. Début 2018, avec l’ambition d’étendre son audience auprès d’un plus grand public, la plateforme Twitch annonce néanmoins un durcissement de ses conditions d’utilisation visant notamment à réprimer plus sévèrement les contenus haineux ou destinés à un public adulte. Y contrevenir peut donner lieu à des sanctions, de la suspension au bannissement du compte des streamers concernés. De même, au-delà des propos tenus à l’antenne, le streamer s’expose aussi au jugement de ses spectateurs, de la simple moquerie lors d’une séquence de jeu ratée à un risque d’humiliation voire de harcèlement en ligne pouvant s’avérer traumatisante pour l’enfant.
L’économie du streaming
Le streaming est aujourd’hui une activité populaire qui attire un public de plus en plus nombreux. Mécaniquement, ces activités de diffusion en direct ont donc aujourd’hui une portée économique croissante, tant pour les streamers que pour l’industrie du jeu.
Si les streamers sont de plus en plus nombreux à diffuser, c’est notamment parce qu’un modèle économique s’est progressivement installé dans le secteur, encourageant les spectateurs à faire des dons en argent aux streamers qu’ils apprécient, notamment via PayPal. Ces dons sont souvent modestes, à hauteur de quelques euros par donateur, mais peuvent être répétés régulièrement au cours d’une même soirée, et parfois pour des montants très élevés – en 2015, le streamer français Liberty recevait par exemple plus de 69 000$ de dons au cours d’un unique stream. Les plateformes de diffusion s’adaptent en outre à ce modèle économique et intègrent nativement des options permettant aux spectateurs de faire des dons. La plateforme Twitch, qui appartient au groupe Amazon et s’appuie sur Amazon Payment, permet par exemple l’achat de « jetons » contre quelques euros qui pourront être offerts aux streamers via les options de chat du stream, déterminant la rémunération du streamer.
De même, certaines options permettent aux streamers de toucher des commissions lorsque des copies des jeux qu’ils streament sont vendues via leur chaîne de diffusion (là encore, via Twitch / Amazon).
En outre, le streaming s’inscrit également de plus en plus dans l’économie du jeu vidéo pour devenir un vecteur publicitaire plus ou moins déguisé pour les jeux. Les éditeurs de jeu rémunèrent les streamers les plus populaires pour qu’ils streament leurs jeux. Ces streams promotionnels ne sont pas toujours annoncés comme tels et cette forme de publicité peut toucher des produits divers (des jeux vidéo, mais aussi des casinos virtuels par exemple afin de faire la promotion de jeux d’argent).
Dans le sport électronique
De même, le streaming est aujourd’hui partie intégrante de l’économie du sport électronique. Toutes les principales compétitions officielles d’e-sport sont retransmises sur les plateformes de streaming, réunissant parfois des millions de spectateurs. L’industrie du jeu œuvre à capter cette audience afin de la monétiser. Dans cette optique, elle s’inspire du modèle des chaînes sportives payantes américaines, notamment dans l’espoir de pouvoir négocier des droits de diffusion pour les compétitions d’e-sport. Bobby Kotick, PDG d’Activision Blizzard, souligne ainsi qu’environ 240 millions de spectateurs aujourd’hui regardent chaque année près de sept milliards d’heures de contenu de la NFL, la ligue de football américain aux États-Unis, générant ainsi douze milliards de dollars de chiffre d’affaires, dont environ six milliards de droits de diffusion dans les médias et d’abonnements. Des chiffres à mettre en parallèle avec les 400 millions de joueurs actifs des plateformes d’Activision susceptibles d’être aussi spectateurs de streams vidéoludiques – et plus spécifiquement des diffusions des matchs des ligues d’e-sport créées par ces mêmes éditeurs de jeux et retransmises en ligne. L’approche est similaire chez Electronic Arts qui voit notamment l’avenir de ses activités dans la vente d’abonnements à des services de stream.